Le NeuroMarketing
Auteur : Yvan Valsecchi
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I - AVANT-PROPOS
- II - UN PEU DE THÉORIE
- A - Le cerveau, beaucoup de fausses théories.
- B - La raison n'est rien sans l'émotion.
- C - La mémoire, un processus de construction.
- D - La mémorisation inconsciente.
- E - Notre cerveau nous trompe.
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III - LE NEUROMARKETING
Chapitre II - UN PEU DE THÉORIE
A - Le cerveau, beaucoup de fausses théories.
L'étincelle est venue du sang. C'est une longue histoire qui commence en 1890, lorsque deux physiologistes anglais, Roy et Scherrington, établissent un lien entre l'activité cérébrale et le flux sanguin. Plus une aire du cortex est sollicitée, plus elle reçoit d'hémoglobine chargée d'oxygène et de glucose, les carburants de la matière grise. Il suffisait de suivre le fil rouge jusqu'au cerveau. L'homme a mis un siècle pour atteindre sa cible. Le voici plus curieux que jamais, surpris de son audace et bien résolu à mener l'enquête à son terme sur ce " phosphore un peu mou qui sert à le prévoir sans vie ".
L'électro-encéphalogramme, avec ses électrodes posées sur le scalp du patient, donne en temps réel un état de l'activité électrique des neurones, sans permettre de localiser les zones au travail. Dans les années 70, le scanographe, ou scanner à rayon X, a permis de réaliser les premières cartes fonctionnelles du cerveau. Mais les images qui aidaient à situer les tumeurs manquaient de contraste pour entrer dans l'intimité des cellules. La décennie 90 a vu sauter les ultimes verrous avec la tomographie par émission de position (TEP) puis l'aimant de l'IRM (imagerie fonctionnel à résonance magnétique), au champ magnétique trente mille fois supérieur à celui de la terre. Dans les deux cas, c'est le sang qui parle.

Extrait du livre d'Éric Fottorino « Voyage au centre du cerveau ».
Selon une théorie élaborée dans les années 60, le cerveau serait organisé en trois niveaux : un cerveau archaïque (ou primitif), le fameux cerveau reptilien, en serait la couche la plus enfouie. Hérité des reptiles, il déterminerait un certain nombre de comportements réflexes comme : l'agressivité ou la fuite. Le niveau intermédiaire hérité des premiers mammifères serait responsable de comportement plus complexes liés à la mémoire et aux émotions. Le niveau supérieur, le néo-cortex, permettrait la pensée abstraite, le langage. Les trois cerveaux, issus de différentes étapes de l'évolution humaine, auraient des difficultés à communiquer entre eux. Un peu comme les ordinateurs au fur et à mesure de l'apparition de nouveaux encodages informatiques.
D'aucuns font de cet argument la base de leur commerce. Leur exposé est basé sur la théorie erronée selon laquelle nous utilisons la plus ancienne partie de notre cerveau pour prendre toutes nos décisions. On se déciderait donc comme un crocodile !
Le problème, c'est que cette théorie repose sur de fausses notions de l'anatomie du cerveau, de son fonctionnement et de la façon dont il a évolué d'une espèce à l'autre depuis des millions d'années. Autrement dit, si vous vous mettez en colère, rien ne sert de blâmer votre cerveau reptilien. Comme l'a démontré Read Montague (voir dans l'introduction) notre cerveau primitif prend des décisions que la conscience (cortex pré-frontale) vient inhiber.
Le cerveau c'est l'organe le plus compliqué à la fois dans sa structure et dans son fonctionnement. Penser qu'on aurait une bosse du crime ou un bouton d'achat c'est scientifiquement faux, mais un bon argument marketing. Voyons quelles sont les dernières théories sur le cerveau.
B - La raison n'est rien sans l'émotion.
Au commencement, l'homme avait besoin d'un cerveau pour respirer, manger, fuir le danger et se reproduire. Et puis, peu à peu, il s'est mis à vouloir penser, conceptualiser, théoriser. Et pour ça, il comptait sur sa seule raison, persuadé que l'émotion allait le déranger. Et bien il se trompait ! La raison n'est rien sans l'émotion.
Cette découverte récente, on la doit notamment à un personnage étonnant : Phineas Gage.
Une heure après l'accident, Gage, qui avait perdu un oeil, parlait normalement et racontait, sans trouble apparent, sa mésaventure ! Rien ne lui manquait de ses facultés intellectuelles, ni de son vocabulaire, ni de ses souvenirs, ni même de ses capacités motrices.
Après une période de convalescence, il reprit son travail et là, patatraque ! Plus rien ne se passait comme avant. Il s'emportait facilement. Il n'était plus capable de prendre une seule décision sensée. Phineas fut renvoyé et pendant 12 ans il ne cessa de changer d'emploi, laissant toujours derrière lui le souvenir d'un homme infecte. Il finit au cirque Barnum où il racontait son accident sans jamais se séparer de la baramine qui l'avait perforé, entouré de jeunes gens à peau d'éléphant et de femmes monstrueuses.
Le docteur qui avait examiné Phineas, conclut alors dans son rapport que « la barre de fer était passée dans le voisinage de Bienveillance et dans la partie antérieure de Vénération. Son organe de la Vénération a été lésé, c'est pourquoi sans doute, le patient n'arrêtait pas de jurer ».
Vers la fin des années 1970, le professeur Antonio Damasio, neurologue à l'hôpital universitaire d'Iowa City, eut l'occasion d'observer un cas similaire sur un patient qu'il baptisa Elliot. La conclusion qui s'imposa à Damasio, bouleversa certaines idées reçues sur le fonctionnement cérébrale : L'affaiblissement de la capacité à réagir sur le terrain des émotions pouvait être à la source de comportement irrationnels.
Le neurologue avait trouvé bien avant Read Montague les raisons scientifiques qui inhibaient la décision prise par le cerveau primitif des buveurs de Pepsi-Cola.
Ainsi donc, le cerveau qui pense, qui calcule et qui décide est le même que celui qui rit, pleure, aime, éprouve du plaisir. Quand nous prenons une décision, c'est l'émotion qui prend le dessus. Ça aide à faire le tri dans toutes les informations que le cerveau doit traiter. Mais le plus souvent, nous n'en avons pas conscience. Et nous cherchons a posteriori une justification rationnelle à nos choix. C'est pour ça que demander : et pourquoi vous aimez ce téléphone portable ? Pourquoi vous avez choisi cette voiture ? Ne dit pas grand-chose des désirs profonds du consommateur.
C - La mémoire, un processus de construction.
À la Fondazione Santa Lucia de Rome, Fabio Babiloni chercheur en neuroscience, tente de décrypter le fonctionnement de la mémoire. Lui et son équipe veulent en comprendre les mécanismes. Observer les activités d'un cerveau qui se souvient et d'un cerveau qui oublie. Et pour cela, le meilleur outil c'est encore la publicité. L'expérience consiste à montrer un film documentaire entrecoupé de publicités à une vingtaine de sujets, auxquels il enregistre les ondes électriques du cerveau. Les personnes ne savent pas ce que cherche le scientifique, ni ce qu'il leur sera demandé par la suite. Fabio Babiloni les fait revenir une semaine plus tard et leur demande de quelle publicité ils se souviennent. Et là, surprise ! Une publicité qui laisse des traces ne suscite pas la même activité dans le cerveau qu'une publicité que l'on oublie.
« Les résultats montrent que l'activité cérébrale, quand nous regardons quelque chose que nous allons oublier, est très isolée. Chaque zone cérébrale communique avec les zones cérébrales voisines. Pour prendre une image, c'est comme si chaque zone passait un appel téléphonique courte distance aux zones cérébrales voisines. Quand au contraire nous regardons des spots qui laisseront une trace dans notre mémoire, les résultats montrent que les différentes zones cérébrales passent des appels longue distance. Et toutes les zones cérébrales communiquent entre elles plus intensément. Dans les exemples que nous avons étudiés, le fait de se souvenir d'une publicité, n'est pas nécessairement lié à la capacité ou au désir d'acheter le produit. Je suis même convaincu qu'on se souviendra de mauvaises publicités ou de produits qu'on ne veut pas acheter ».
Le professeur Martial Van der Linden (neuropsychologue) de l'université de Genève, un des spécialistes mondiaux de la mémoire et de ses mécanismes, a mis au point une expérience qui prouve combien il est facile de confondre la réalité avec l'imaginaire. On projette à des spécimens plusieurs mots de la même famille par exemple des vocables associés à l'idée de montagne mais sans jamais leur montrer le mot montagne. On leur demande ensuite s'ils se souviennent des mots qu'on leur a présentés et cette fois-ci on y inclut le mot montagne. Au final la plupart des spécimens se disent certains d'avoir vu ce mot.
En ayant vu les différents mots reliés au mot montagne qui n'a pas été présenté, la personne a associé le mot montagne aux autres mots et ultérieurement elle ne peut pas faire la distinction entre ce qu'elle a imaginé et ce qu'on lui a présenté. Et d'une certaine façon elle a ce mot en mémoire puisqu'elle l'a généré.
De quoi remettre en question l'idée d'une mémoire infaillible. La plupart des chercheurs dans le domaine de la mémoire considèrent que la mémoire est un processus de construction. Quand on met en mémoire, on construit un souvenir en fonction de nos croyances, de nos valeurs, de nos buts, de nos conflits. Et de la même manière quand on récupère un souvenir, on va récupérer ce qui correspond à nos croyances, nos valeurs. Donc c'est vraiment un processus de construction. On est loin de la métaphore de l'ordinateur ou de l'appareil photographique.
Une chercheuse américaine, Elizabeth Loftus (Professeur de psychologie, Irvine, CA), a poussé l'exercice plus loin. Elle a réussi à implanter sciemment dans la mémoire de plusieurs personnes le souvenir d'événements qui ne s'étaient jamais produits.
« L'une des choses qui m'a le plus impressionnée », dit-elle, « c'était lorsque nous avons essayé d'implanter des souvenirs totalement faux dans la tête des gens, j'ai pu constater à quel point c'était facile à faire. Par exemple, nous avons réussi à faire croire à des gens que lorsqu'ils avaient 5 ou 6 ans, ils s'étaient perdus dans un centre commercial. »
Dans une autre expérience des chercheurs ont emprunté une photo tirée de l'album familiale de plusieurs spécimens. À partir de cette image et grâce à un montage, ils ont créé de toutes pièces une photo représentant un tour en montgolfière. Quelques jours après les scientifiques ont demandé au spécimen de se replonger dans leur enfance et de commenter leur album. En voyant la photo truquée, une bonne partie d'entre eux se sont souvenus de leur voyage en montgolfière alors que celui-ci n'avait jamais eu lieu. Et plus étonnant encore, ils l'ont raconté avec de nombreux détails.
« Nous avons donné un nom à ce phénomène », ajoute Elizabeth Loftus, « c'est une inflation de l'imagination parce que notre recherche a démontré qu'en incitant des gens à imaginer qu'ils étaient tombés quand ils étaient petits et avaient cassé une vitre avec leur main on les amène à être plus confiants et à croire plus tard que cet événement est vraiment arrivé. C'est donc à ça que peut aboutir l'imagination. Et lorsqu'on demande plus tard à ces gens s'ils ont cassé une fenêtre, ça résonne en eux comme quelque chose de familier. Ils croient que c'est vraiment arrivé. Mais cette familiarité est due au fait qu'on leur a fait imaginer cet événement en les aidant à construire ce processus imaginaire. »
D - La mémorisation inconsciente.
En 2008, des psychologues de la Stanford Graduate School of Business en Californie mettaient des sujets face à un écran où s'affichait un produit, puis s'ajoutait son prix. Il leur était alors proposé d'acheter le produit au prix indiqué. L'IRM révèle que chaque phase active successivement différentes zones du cerveau : celles spécialisées dans l'anticipation du gain, puis celles traitant de la balance entre gains et pertes. Dans la phase d'achat, on assiste, selon les chercheurs, à la désactivation de la zone d'anticipation de la perte. Ils montraient même que cette activité cérébrale avait un caractère prédictif : si par exemple, lors de la présentation du produit, le noyau accumbens (zone d'anticipation du gain) du sujet s'activait, on pouvait être sûr qu'il allait finalement acheter le produit. Des perspectives qui font déjà saliver les publicitaires ...
Au cours d'une expérience, présentez furtivement (pendant trois secondes) à vos cobayes des logos de marque. Laissez-leur le temps d'oublier, une semaine environ, puis présentez-les à nouveau, parmi un ensemble d'autres logos. Demandez alors aux cobayes ce qu'ils pensent de chacune des marques représentées. Surprise : celles dont le logo a été vu furtivement la semaine précédente puis oublié recueillent de meilleures opinions que les autres ! Selon ces psychologues, « dans la phase d'exposition très courte, le sujet est conduit à juger, puis à engranger très rapidement et à son insu les traces positives ou négatives de son jugement faiblement élaboré ». Si ultérieurement le sujet rencontre à nouveau le logo dans une situation où il est faiblement impliqué (s'il est distrait ou perturbé, ou bien si on lui demande de répondre rapidement à des questions), ce sont ces traces mnésiques qui vont guider, à son insu, son attitude. Dès lors, gare à la manipulation si vous faites vos courses sans trop y réfléchir ...
Plus frappant encore : l'effet semble fonctionner même quand le sujet n'a pas porté son attention sur le logo. Des psychologues ont mené une expérience où ils faisaient lire à leurs cobayes des pages Internet mêlant texte et bannières publicitaires présentant des logos. Prétextant d'analyser la capacité des individus à mémoriser l'information présentée sur Internet, ils équipaient les sujets d'appareils permettant de suivre le mouvement des yeux. Grâce à cette technique, dès que le sujet orientait son regard vers les bannières, les publicités disparaissaient. On est donc sûr que les individus testés n'ont pas pu porter leur attention sur les logos (même s'ils sont entrés dans leur champ de vision). Les résultats sont pourtant les mêmes : interrogés ultérieurement, les cobayes montrent une appréciation davantage positive pour les logos affichés sur la page Web que pour d'autres, et se montrent davantage prêts à acheter des produits de la marque représentée. L'effet, qui est d'autant plus fort que le logo est simple et qu'il est affiché un grand nombre de fois, ne semble pas s'estomper avec le temps.
E - Notre cerveau nous trompe.

Notre cerveau est constamment soumis à des influences. À longueur de journée nous sommes stimulés, sollicités, tentés et même harcelés. Parfois quelques mots suffisent à nous faire changer notre comportement.
Chronométrez le temps que met à parcourir une certaine distance une personne avant de lui soumettre un questionnaire sur la vieillesse. Mesurez ensuite le temps qu'il mettra sur le trajet du retour. Vous verrez que cette personne ira plus lentement au retour qu'à l'aller. En remplaçant le questionnaire sur la vieillesse par un questionnaire sur les athlètes et les sprinters. Les gens iront plus vites au retour.
Pascal Wagner, psychologue social, explique ce comportement : « Le fait de penser aux personnes âgées va nous faire penser à des choses stéréotypiques des personnes âgées (lenteur déplacement). Le fait de penser à cette lenteur aurait un effet sur notre comportement ».

Essayer de fixer une après l'autre ces images. Alors que l'image est immobile vous voyez bouger. Étonnant d'autant que, lorsque l'on fixe quelque chose qui bouge dans l'image, tout semble s'immobiliser. Et puis tout se remet à bouger.
Axel Cleeremans psychologue explique de la manière suivante ce phénomène : « Toutes ces images sont caractérisées par le fait qu'elles contiennent de nombreux petits éléments qui, à leur tour,contiennent des régions de contraste élevés et notre cerveau est berné en l'occurrence parce que les informations qui concernent le calcul des mouvements s'intéressent principalement à la nature des contraste qui existent entre les différentes régions de l'image ».
Nous avons l'impression que la perception de notre vision du monde visuel est complète et parfaite, en réalité nous ne faisons attention qu'à de toutes petites régions de ce champ visuel et donc de grands changements doivent nous échapper complètement.